L'Art Rupestre


Par Jean Clottes, Ancien Président du Comité International d'Art Rupestre (ICOMOS)


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 L'Art Rupestre : Une étude thématique et critères d'évaluation


I.         INTRODUCTION

LE TERME d'art rupestre qualifie les manifestations artistiques sur support rocheux. C'est la seule manifestation culturelle de l'humanité qui se soit poursuivie sans interruption pendant plus de trente millénaires pour parvenir jusqu'à nous sous ses formes multiples, inchangées depuis les origines. Les débuts de la création artistique ne sont pas le fruit d'une culture ou d'une ethnie particulière mais une composante essentielle de l'Homo sapiens sapiens : dès que celui-ci se répand dans le monde, les manifestations d'art rupestre apparaissent partout, de l'extrême nord de la Scandinavie à l'extrême sud de l'Afrique, de l'Espagne et du Portugal à la Sibérie, couvrant toute l'Asie et les Amériques, et répandu dans toute l'Océanie, particulièrement en Australie, mais jusqu'à l'Ile de Pâques.

Dans l'art rupestre, on constate une grande diversité et une extraordinaire complexité. Les études ethnologiques nous éclairent sur la signification des motifs et des symboles. Par exemple, dans le monde entier, cet art a été choisi comme vecteur des mythes sur la Création du Monde. L'art préhistorique et tribal, le plus souvent, est un art de pouvoir, dont les symboles sont conçus pour faciliter la vie, chercher de l'aide auprès de puissances extérieures, avoir une meilleure prise sur le réel comme sur le monde des esprits auquel il est inextricablement mêlé.

Il constitue donc un patrimoine unique et particulièrement précieux. D'abord, par son antiquité, puisqu'il représente une chaîne ininterrompue de plus de 35 000 ans. Par ses chef-d'oeuvres aussi, qu'il s'agisse des peintures des Magdaléniens dans les cavernes franco-cantabriques, des oeuvres des Aborigènes d'Australie ou de celles des Bushmen d'Afrique australe. Il témoigne de pratiques religieuses qui plongent dans la nuit des temps et en constitue la seule manifestation tangible. Il apporte des renseignements multiples sur les modes de vie, les vêtements, les armes et les outils, les cérémonies et sur tout ce qui constituait le monde matériel et spirituel de civilisations disparues.

II.         UN ART EN DANGER

SI NOMBREUX que soient les sites d'art rupestre, ils ne constituent qu'une infime partie de ce qui a existé. En effet, qu'il se trouve en grottes, sous abris ou sur des roches en plein air, l'art rupestre est soumis à des agressions de toutes sortes, de la part de la nature et des hommes. Chaque site est comparable à un musée qui se trouverait exposé aux éléments et aux actes de vandalisme. Du monde entier parviennent des échos alarmants sur sa dégradation, dont l'accélération est due à des causes multiples.

Jusqu'à la fin du XIXème siècle dans certaines régions de l'Afrique et des Amériques, ou même la première moitié de ce siècle en Australie, l'art rupestre se renouvelait, grâce à des traditions religieuses toujours vivantes pratiquées par des sociétés traditionnelles dont les modes de vie avaient peu varié. Cet état de choses n'existe plus, sauf à l'état de relique pour des groupes de plus en plus réduits. Dans son immense majorité, l'art rupestre est devenu un art fossile. Il faut donc protéger ce qui existe dans la forme où les oeuvres nous sont parvenues.

Cet art non renouvelable se dégrade vite et disparaît sous l'effet de phénomènes naturels. La nature de la roche joue un rôle crucial : certains grès, par exemple, se desquament régulièrement, de sorte que les peintures de la couche superficielle sont détruites. Les animaux concourent également aux détériorations : dans les abris, des nids d'oiseaux ou d'insectes recouvrent les peintures et les font disparaître peu à peu ; de grands mammifères se frottent aux parois ornées. Tous ces phénomènes, selon les lieux, provoquent une érosion progressive de l'art rupestre.

Les effets dévastateurs de l'action humaine sont plus nocifs encore. Ils prennent des formes diverses. Dans le nord de l'Europe, ce sont les pluies acides, dues aux pollutions industrielles de cette seconde moitié du XXème siècle, qui menacent d'une entière destruction une grande partie de l'art rupestre scandinave. Partout, dans le monde, le vandalisme sous ses multiples aspects intervient, dégrade et fait disparaître des sites entiers.

L'art rupestre, dans son contexte culturel d'origine, était protégé par le respect qui l'entourait, de même que l'environnement naturel où il s'inscrivait. Actuellement, des forces opposées le menacent. Dans la conscience du grand public, la vénération des anciens graphismes n'existe plus. De sorte que les travaux d'urbanisation, les carrières, l'ouverture de routes, la construction de barrages détruisent chaque année des milliers de représentations. Devant les nécessités du développement économique, les investissements et les emplois mis en jeu, la préservation de l'art rupestre passe trop souvent au second plan, qu'il s'agisse de pays industrialisés ou non.

Cet art ne présente pas le caractère monumental des constructions architecturales. Il est beaucoup plus vulnérable, car il peut disparaître avec la roche elle-même, dans le cas de grands travaux, mais également si la pellicule superficielle est attaquée d'une façon quelconque. À l'heure actuelle, sans noircir le tableau, il est certain qu'une grande partie de l'art rupestre mondial sera détruite au cours des prochaines décennies. Il s'agit donc d'un patrimoine en très grave péril.

La situation est très différente selon les pays, en fonction du nombre des sites et de leur isolement, du degré d'intérêt pour la culture, de la densité de la population et de bien d'autres paramètres. Parfois, des sites sont classés parmi les monuments d'intérêt historique et/ou culturel et bénéficient ainsi d'une protection légale. Dans leur très grande majorité, ils ne le sont pas. Rappelons que seuls treize ensembles de sites d'art rupestre figurent à ce titre sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco : ils se trouvent en Algérie, en Australie, en Libye, au Brésil, au Mexique, en Argentine, en France, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Suède et en Norvège. Aucun n'a été mis sur la Liste en Asie, en Afrique sud-saharienne, aux Etats-Unis ou au Canada.

La protection de l'art rupestre ne fera des progrès significatifs que dans la mesure où elle sera perçue comme une nécessité absolue, et non pas comme marginale et secondaire par rapport à des objectifs économiques ou touristiques. C'est un problème d'éducation et de promotion culturelle au sens le plus large.

III.         CRITÈRES DE SÉLECTION

LES SITES d'art rupestre se comptent dans le monde par dizaines, voire centaines, de milliers. Il faut donc faire des choix, bien que tous soient signifiants et précieux à tel ou tel titre. La liste provisoire et préliminaire ci-après ne peut qu'être indicative. L'intérêt relativement récent pour l'art rupestre dans certains pays et le manque de moyens fait que des ensembles ornés se découvrent tous les jours et certains sont de toute première importance. L'absence d'un site ou d'en ensemble de sites sur cette liste ne devrait donc pas empêcher, dans l'avenir, qu'une demande de mise sur la Liste du Patrimoine mondial soit examinée selon ses mérites propres. Tout ce que l'on peut dire à ce stade, c'est que tous les sites mentionnés ci-après méritent amplement de figurer sur la Liste, mais que leur inventaire reste ouvert.

Ils ont été pré- sélectionnés en fonction des critères suivants, après enquête auprès de plusieurs de nos représentants régionaux :

  • leur caractère exceptionnel sur le plan esthétique ;
  • sur le plan ethnologique ;
  • sur le plan archéologique et chronologique ;
  • sur le plan environnemental ;
  • le nombre des représentations sur une superficie bien délimitée (lieux sacrés) ;
  • la protection dont ils sont l'objet.

Les étoiles (*) marquent l'évaluation d'une importance qui ne peut être que subjective.

 

III.1 Sites rupestres du Tadrart Acacus (Jamahiriya Arabe Libyenne) © UNESCOuKhahlamba / Parc du Drakensberg (Afrique du Sud) © UNESCO - M.L. PearseAfrique
(actuellement 3 sites sur la Liste : Afrique du Sud (uKhahlamba/Drakensberg), Algérie (Tassili n'Ajjer) et Libye (Acacus).

En Afrique, le nombre des sites d'art rupestre dépasse les 150 000. C'est pourquoi, la plupart des sites retenus - à l'image de ceux qui figurent déjà sur la liste pour ce continent -, sont en fait desensembles de sites, couvrant de vastes régions. Des sites très importants existent aussi au Maroc, au Malawi, au Lesotho, au Botswana, en Zambie.

III.1.1         Afrique saharienne

 -  Libye
  +*** Messak (milliers de sites avec des gravures splendides)
  +** Mathendous (une dizaine d'oueds avec de nombreux sites prestigieux)
 -  Tchad
  +** Ennedi (très nombreux sites gravés et peints)
  +** Tibesti (très nombreux sites gravés et peints)
 

III.1.2         Afrique subsaharienne  *
 -  Afrique du Sud
  +* Cedarberg (concentration d'abris peints)
 -  Namibie
  +*** Brandberg (plus de mille sites peints dans un massif isolé)
  +* Twyfelfontein (plusieurs milliers de gravures en un même lieu ; parc)
 -  Tanzanie
  +** ensembles de Kondoa-Singida (près de 350 sites ornés de gravures et de peintures)
 -  Zimbabwe
  +*** Matopos Hills (très important ensemble d'abris ornés)

* L'étude Southern African rock-art sites, rédigée par Janette Deacon en collaboration avec les membres du Southern African Rock Art Project (SARAP), a été éditée par l'ICOMOS en 2002.

 

III.2 Cueva de las Manos, Rio Pinturas (Argentine) © UNESCOAmériques

III.2.1         Amérique Centrale et Amérique du Sud
(actuellement 3 sites sur la Liste : Bolivie (Samaipata), Brésil (Serra da Capivara) et Argentine (Cueva de las Manos).

Les travaux - et les découvertes - se multiplient sur ce continent, dont l'art rupestre est encore mal connu.

 -  Argentine
  + Guachipas, Salta (une trentaine de grottes et abris ornés avec peintures et gravures)
 -  Brésil
  +** Rio Peruaçu, Minas Gerais (plusieurs grands abris avec peintures dans un environnement exceptionnel)
 -  Chili
  + Tarapacà, Arica (géoglyphes)
  + Sierra de Arica (peintures)
  + Taira (peintures)
  + El Médano (peintures)
 -  Guatemala
  + Naj Tunich (grotte avec peintures et gravures Maya)
 -  Mexique
  + Chalcazingo, Morelos (gravures Olmèques)
  + Juxlahuaca, Oxtotitlan (grottes à peintures Olmèques polychromes)
  + Loltun et autres grottes de Oxkutzcab, Puuc, Yucatan
 -  Pérou
  +** Toro Muerto, Arequipa (ensemble de plusieurs milliers de blocs gravés)
 -  Venezuela
  + Rio Orinoco (une cinquantaine d'abris et grottes ornés)

III.2.2         Amérique du Nord
(actuellement 1 seul site sur la Liste : Mexique (Baja California))

Les sites d'Amérique du Nord sont largement ignorés du public. On en compte cependant des milliers, qui sont encore parfois l'objet de pratiques cultuelles.

 -  Canada
  +** Writing-on-Stone, Alberta (gravures)
  + Petersborough, Ontario gravures)
 -  Etats-Unis
  +*** Great Gallery (plusieurs grands abris peints dans un environnement exceptionel)
  +*** Coso Range, Californie (milliers de gravures rupestres sur roches à l'air libre, en plusieurs canyons)
  + Pleito Creek, Californie (plusieurs grottes avec peintures)
  +** Sites Dinwoody/Bighorn Basin, Wyoming (gravures)
  +** Sites de la Lower Pecos River, Texas (abris peints)
 
III.3 Asie
(actuellement aucun site sur la Liste)

Des dizaines de milliers de sites existent en Asie. Ils sont très peu connus.

 -  Chine
  +** Helanshan, dans le nord (gravures)
  +** Huashan, dans le sud (peintures)
 -  Inde
  +*** nombreuses grottes peintes du Bhimbetka, Bhopal (Madhya Pradesh)
 -  Indonésie
  +** Grottes ornées du Kalimantan, à Bornéo
 -  Russie
  +* Tamgaly, Kazakhastan (gravures de plein air)
  +** plusieurs ensembles de milliers de gravures dans les vallées de la Lena, du Ienissei, de l'Angara, de la Tomsk
 
III.4 Gravures rupestres de Tanum (Suède) © UNESCOSites d'art rupestre préhistorique de la vallée de Coa (Portugal) © UNESCOEurope
(actuellement 7 sites sur la Liste : Portugal (Foz Côa), France (sites de la Vallée de la Vézère), Espagne (Altamira et sites du Levant), Italie (Valcamonica), Suède (Tanum) et Norvège (Alta).

Les grottes et ensembles cités ci-après sont en majorité du Paléolithique et uniques au monde de ce point de vue.

 -  Espagne
  +** Grottes ornées de la Corniche Cantabrique (Asturias, Cantabria, Pays-Basque) (plusieurs dizaines de grottes ornées paléolithiques)
 -  France
  +*** Grotte Chauvet, Vallon-Pont-d'Arc (splendide caverne ornée, avec les dates les plus anciennes du monde)
  +** Grottes paléolithiques pyrénéennes (Ariège, Haute-Garonne : 13 grottes ornées parmi les plus prestigieuses connues)
  +*** Mont Bego, Alpes-Maritimes (environ 40 000 gravures rupestres chalcolithiques ; Parc du Mercantour)
 
III.5 Parc national de Kakadu (Australie) © UNESCO - I. HascovecOcéanie
(actuellement 1 site sur la Liste : le Parc de Kakadu en Australie).

L'Australie doit compter entre 80 000 et 100 000 sites. Les traditions sont souvent conservées. Bien d'autres ensembles seraient également dignes de figurer sur la Liste.

 -  Australie
  +*** Région de Laura (Cape York)(plusieurs centaines d'abris peints ; gravures ; près de 30 000 ans de tradition d'art rupestre)
  +*** Kimberley (Bradshaw sites ; des centaines d'abris peints avec une forme d'art très originale)
  +** Pilbarra (gravures)

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