PROTEGER LE PATRIMOINE CULTUREL SUBAQUATIQUE
1) INTRODUCTION
Les sites archéologiques situés au fond des fleuves, des lacs ou des mers regorgent d'informations sur la vie de nos ancêtres. Malheureusement, la chasse aux trésors étant une activité extrêmement lucrative, des milliers de chasseurs de trésors dévalisent des épaves pour vendre leurs objets. Afin de protéger ce patrimoine culturel, l'UNESCO a adopté en novembre 2001 une convention visant à interdire les fouilles sous-marines à des fins purement commerciales.
Depuis la nuit des temps, l'homme a traversé les fleuves, lacs et océans pour conquérir d'autres terres, établir des relations commerciales avec d'autres peuples ou tout simplement en quête d'aventures et de fortune. Au cours des siècles, des centaines de navires marchands, remplis de porcelaines ou d'amphores, des galions chargés de bijoux ou des vaisseaux de guerre munis d'artillerie ont fait naufrage ou ont été coulés par les canons ennemis. Ils reposent aujourd'hui encore près des côtes ou au fond des océans.
L'eau, contrairement au milieu terrestre, présente l'avantage de conserver des vestiges en bon état pendant des milliers d'années. Grâce au développement de l'archéologie subaquatique, ces vestiges peuvent être étudiés. Les vaisseaux reposant au fond de la mer permettent, souvent bien mieux que les vestiges terrestres, d'obtenir des données sur des stratégies de guerre, des techniques artisanales ou sur les routes commerciales d'antan (voir " L'archéologie subaquatique ").
La richesse de ce patrimoine est immense ; on estime à plus de trois millions le nombre d'épaves non découvertes disséminées au fond des océans. Rien qu'en Amérique du Nord on recense la disparition de plus de 65 000 bateaux de 1500 à nos jours. Près des Açores, entre 1522 (année où Magellan fit le tour du monde) et 2002, quelque 850 bateaux ont fait naufrage ; 90 étaient des galions espagnols et 40 des vaisseaux portugais faisant la route des Indes. Les pays d'Amérique latine et des Caraïbes possèdent aussi, de par leur histoire, un patrimoine subaquatique d'une extrême richesse. Dans la seule baie de Montevideo (Uruguay) plus de 200 naufrages importants ont été recensés entre 1772 et 1930. Parmi les navires sinistrés se trouvaient des frégates, des brigantins, des corvettes, des bateaux à vapeur et des bateaux de passagers.
Et les bateaux ne sont pas les seuls à hanter les fonds marins. Du fait des cyclones ou des tremblements de terre, on y trouve également des cités entières, (Port Royal, Jamaïque), des vestiges de civilisations anciennes (Phare d'Alexandrie, Egypte) ou des peuplements néolithiques (Mer noire). Sans oublier des cavités naturelles inondées, comme les cenotes, les puits sacrés de la péninsule de Yucatan (Mexique) qui recèlent également une mine d'informations sur la culture maya.
Malheureusement, la plupart de ces trésors du patrimoine culturel sont sérieusement menacés. Aujourd'hui, l'accès aux fonds marins est à la portée de tous grâce à la technologie. Un plongeur amateur équipé d'un scaphandre autonome peut parvenir à de nombreuses épaves et extraire des objets. Il existe aussi de grandes entreprises de " chasseurs de trésors ", dotées de très gros moyens techniques, qui écument les océans à la recherche de pièces qui seront vendues au plus offrant et qui ne seront jamais étudiées (voir " Les chasseurs de trésors ").
Enfin un accord international
Afin de lutter contre ce fléau, l'UNESCO a adopté en novembre 2001 la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, un accord international visant à protéger toutes les traces d'existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergées depuis au moins cent ans. Pour atteindre ce but, la Convention propose d'interdire les fouilles à des fins exclusivement commerciales. Ainsi, tous les pays signant la Convention doivent bannir l'activité des " chasseurs de trésors " en adoptant la législation adéquate. La Convention prévoit également que les Etats prennent les mesures nécessaires afin d'interdire l'entrée sur leur territoire, le commerce et la possession du patrimoine culturel subaquatique récupéré illicitement.
Pour la Convention, la conservation in situ doit être " l'option prioritaire ". Chaque fois que cela est possible, il faut préserver les vestiges subaquatiques à l'endroit même où ils ont été découverts et n'extraire ces vestiges que le temps de les étudier. (voir " Conservation in situ ").
Comme la démarche archéologique est très coûteuse et que de nombreux pays ne disposent pas des ressources nécessaires à la protection de leur patrimoine, la Convention encourage la coopération entre les pays en matière de formation en archéologie subaquatique, de techniques de préservation du patrimoine culturel subaquatique et de transfert de technologies.
"
La plupart des pays approuvent les normes et les principes de la
Convention et la considèrent nécessaire, déclare Edouard Planche, chargé de
programme adjoint à la Section des normes internationales de la
Division du patrimoine culturel de l'UNESCO.
Il ne reste plus aux Etats
qu'à la ratifier le plus tôt possible afin qu'elle entre en vigueur".
Note : le texte complet de la Convention sur le patrimoine culturel subaquatique
est disponible à l'adresse suivante :
http://
www.unesco.org/culture/legalprotection/water/html_fr/convention.shtml
Le site de la
Subdirección de Arqueología Subacuática de l'Instituto
Nacional de Antropología e Historia de Méxique (en espagnol et en anglais) vaut
le détour : http://
www.inah.gob.mx/arq_subq/htme/menu.html
2) L'ARCHEOLOGIE SUBAQUATIQUE
" Le travail des archéologues est comme un livre
dont les pages disparaissent au fur et à mesure qu'on les lit ".
Marc-André Bernier, " L'archéologue aux pieds palmés"
Les amphores sont des vases en terre à deux anses qui, selon leur pays d'origine, leur date de fabrication ou leur contenu, adoptent différentes formes (arrondie, allongée, aplatie ou pointue). Dans l'Antiquité, elles étaient utilisées dans le commerce maritime pour transporter le vin, l'huile et la saumure. Elles nous permettent de savoir que le vin était très apprécié par les Grecs et les Romains, que la cuisine romaine était friande d'une sauce à base de poisson fermenté appelée " garum ", que le vin gaulois était consommé jusqu'en Inde. Elles nous permettent même de retrouver des parfums et des saveurs de l'Antiquité. Les amphores présentes dans les épaves découvertes en Méditerranée regorgent d'informations précieuses sur l'histoire économique de l'Antiquité, informations qui nous sont fournies par l'archéologie subaquatique.
Tout comme l'archéologie traditionnelle, l'archéologie subaquatique étudie et conserve des objets laissés par nos ancêtres afin de connaître leur mode de vie et leur culture. Et comme elle, l'archéologie subaquatique s'aide des documents trouvés dans les archives. L'archéologie subaquatique se distingue par le fait que les objets qu'elle étudie sont immergés, ce qui constitue à la fois un atout et un inconvénient. Un atout parce que les vestiges subaquatiques se conservent mieux. De plus, qu'il s'agisse d'un naufrage ou d'une ville engloutie par un tremblement de terre, ces événements ont figé à jamais les vestiges dans le temps. Un naufrage est en quelque sorte une photographie du passé et il renferme souvent plus de renseignements historiques qu'un vestige terrestre. Par contre, le milieu aquatique présente l'inconvénient de ne pas être le milieu naturel de l'être humain et l'archéologie subaquatique est très dépendante des techniques de plongée.
Une véritable aventure
L'archéologue sous-marin ne ressemble en rien à l'image du chercheur cloîtré dans un bureau poussiéreux croulant sous les livres. C'est avant tout un aventurier ; son travail est plein d'incertitude et parfois de danger. Ses immersions dépendent des caprices du temps, de la visibilité, des courants marins, de la température de l'eau ou de la profondeur à laquelle se trouve l'épave. Il doit disposer d'un équipement spécial et respecter des règles de sécurité très strictes. Plus la profondeur est grande, plus le temps de travail sous l'eau est limité. En général, un archéologue ne peut faire des fouilles que deux heures par jour, une le matin et une l'après-midi. S'il ne respecte pas ces règles, il peut mettre sa vie en danger. C'est la raison pour laquelle les fouilles archéologiques sous-marines requièrent généralement la présence d'un responsable de la sécurité qui est souvent lui-même un plongeur expérimenté.
L'archéologie subaquatique est si étroitement liée au développement de la plongée que c'est grâce à l'invention du scaphandre autonome, popularisé par le Commandant Cousteau dans les années cinquante, qu'ont pu être réalisées les premières vraies fouilles archéologiques subaquatiques.
Au plus profond des mers
A l'heure actuelle, les nouvelles techniques de plongée permettent d'explorer des épaves reposant à plus de 60 mètres de profondeur. Les immersions sont alors réalisées à l'aide de soucoupes plongeantes de taille réduite qui peuvent accueillir deux personnes et l'équipement nécessaire pour répertorier les vestiges (caméscopes, appareils photographiques, ordinateurs, bras robotisés permettant l'extraction d'objets jusqu'à la surface de l'eau, etc.). Ces soucoupes plongeantes permettent de travailler jusqu'à 1 100 mètres de profondeur. Les épaves se trouvant à une grande profondeur se conservent mieux parce qu'il y a moins d'oxygène, moins de lumière solaire et moins de courants marins. La plupart des naufrages ont cependant lieu près des côtes.
Garder la mémoire des vestiges
Les méthodes des fouilles archéologiques, qu'elles soient terrestres ou subaquatiques, sont les mêmes. En général, un site est recouvert de terre ou de sable. La première démarche consiste à retirer précautionneusement, l'une après l'autre, toutes les couches sédimentaires le recouvrant. Simultanément on doit prendre soin d'enregistrer tout ce qu'on fait, donc de garder la mémoire de ce que l'on étudie. Soit par le dessin, soit par la photographie. A l'heure actuelle, on a de plus en plus recours aux photographies numériques car elles permettent de travailler l'image sur ordinateur et, par conséquent, d'obtenir une plus grande précision. Le travail de l'archéologue est minutieux et de longue haleine. Plusieurs années peuvent s'écouler entre le début des fouilles et la publication de leurs résultats.
Enfin, un archéologue sait pertinemment qu'un vestige est non seulement un objet d'étude mais également un élément du patrimoine. Par conséquent, il est de son devoir de le conserver. Cette tâche indispensable s'avère difficile. " Lors des fouilles, nous ne pouvons éviter de perturber le site, reconnaît l'archéologue français Eric Rieth, responsable du Département d'archéologie navale du Musée national de la Marine. C'est pourquoi nous devons tenter de le conserver de telle sorte que cinquante ans plus tard quelqu'un d'autre puisse l'étudier. "
Un travail en équipe
Pour mener à bien les fouilles, l'archéologue subaquatique a besoin de l'aide d'autres scientifiques : un spécialiste de la géographie sous-marine (localisation de l'épave et établissement de la cartographie marine), un expert en conservation (préservation des objets extraits de l'eau), un photographe subaquatique ou un dessinateur (inventaire des objets). Lorsqu'il trouve des ossements d'animaux, il les fait analyser par un archéozoologue. Enfin, pour dater une épave, il a recours à la dendrochronologie, spécialité qui permet déterminer l'origine géographique ou la date à laquelle un arbre a été abattu.
3) LE DEROULEMENT DES FOUILLES SUBAQUATIQUES
Avant d'explorer les restes d'un bateau, l'archéologue doit d'abord savoir quel va être l'objet de son étude : la date ou les techniques de construction, le type de bois employé lors de la fabrication, la forme de la coque, etc. Il prépare ensuite avec précision la réalisation des fouilles : durée, nombre de participants et fonction de chacun. L'équipe est généralement composée d'un chercheur archéologue responsable des fouilles, d'un groupe d'archéologues, de plongeurs professionnels, d'étudiants en archéologie, de spécialistes de la conservation et de photographes. Sans oublier l'équipage du bateau.
Une fois le matériel nécessaire aux fouilles (aspirateurs d'eau, GPS permettant de localiser l'épave, grille métallique, appareils photographiques, ordinateurs, ardoises, paniers pour le transport des objets, grue, etc.) prêt et testé… Un merveilleux voyage vers le passé commence.
Un véritable puzzle
Les fouilles subaquatiques se déroulent en plusieurs étapes.
(Photographies de chaque étape, DRASSM)
1. Nettoyage. Tout d'abord, il est nécessaire de nettoyer le site archéologique à l'aide de puissants aspirateurs sous-marins qui exercent un pompage depuis la surface.
2. Carroyage. A l'instar de l'archéologie terrestre, les fouilles subaquatiques requièrent l'installation sur le site de mailles métalliques composées de carreaux de 1x1, 2x2 ou 4x4 mètres qui permettent de répertorier toutes les pièces archéologiques. Les archéologues doivent numéroter chaque objet archéologique selon sa position sur la grille.
3. Observation et enregistrement. Généralement, les archéologues réalisent des fouilles par équipe de deux. Pendant l'observation de l'épave, leur travail consiste à dessiner et photographier les objets tels qu'ils se trouvent sur la grille, c'est-à-dire reconstituer, carreau après carreau, tel un puzzle, l'épave et prendre des notes. Les ardoises en PVC sur lesquelles dessinent les archéologues leur permettent aussi de communiquer entre eux.
4. Extraction d'objets. Lorsque l'équipe décide de remonter à la surface certains objets pour les étudier, elle utilise de lourds paniers, spécialement conçus pour garantir la sécurité de leur contenu, en s'aidant de ballons gonflés pouvant soulever de 30 à 2 000 litres. Une fois en surface, les objets sont pris en charge par un spécialiste de la conservation avant d'être transportés vers un laboratoire spécialisé.
5. Réensablement. Afin de protéger l'épave contre les dégradations naturelles et le pillage, il convient, au terme de chaque fouille, de réensabler le site.
A votre tour d'essayer
Prenez une photographie d'un site archéologique et quadrillez-la.
Puis
a- découpez tous les carreaux
b- b- reproduisez l'image de chaque carreau sur une autre feuille de papier quadrillé.
c- rassemblez les carreaux et…
d- vous avez reconstitué le site
4) LES CHASSEURS DE TRESORS
Les nouvelles technologies permettent à n'importe qui, plongeur amateur ou pêcheur, d'avoir accès aux épaves et d'en extraire des objets. Ils sont nombreux à le faire, transformant des pièces archéologiques en décoration pour leur cheminée ou leur jardin. Pour l'archéologue canadien Robert Grenier, président du Comité scientifique international du patrimoine culturel subaquatique au Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), il faut que les plongeurs prennent de toute urgence conscience de l'importance de l'archéologie subaquatique." Nous avons besoin qu'ils collaborent avec nous pour la préservation et la protection des épaves ".
Mais il y a aussi des pirates modernes, souvent appelés " chasseurs de trésors ". Ils sont quelques dizaines et dirigent des entreprises disposant d'équipements de plongée sophistiqués. Attirés par la valeur marchande des objets extraits des épaves, ils alimentent les ventes parfois millionnaires des grandes maisons de ventes aux enchères.
Le chasseur de trésors australien Michael Hatcher, par exemple, a empoché près de quinze millions de dollars suite à la vente, organisée par Christie's, la grande maison de ventes aux enchères, des porcelaines chinoises découvertes dans le Geldermalsen, navire hollandais disparu en 1752 en Mer de Chine. Quant au nord-américain Mel Fisher, il a extrait en 1985 pour près de 400 millions de dollars en bijoux et en objets d'or et d'argent de l'épave du galion espagnol Nuestra Señora de Atocha, naufragé en 1622 au large de la Floride (Etats-Unis). Résultat : ces objets archéologiques appartiennent désormais à des collectionneurs et n'ont jamais pu être étudiés par des spécialistes.
Le nord-américain Bob Marx a consacré plus de 45 ans à sillonner les océans à la recherche d'épaves de galions espagnols qui naviguaient entre l'Europe et le Nouveau Monde. " J'ai découvert plus d'épaves et extrait plus de trésors que personne au monde ", disait-il avec une pointe d'orgueil il y a quelques années. En 1957, la police mexicaine l'a interpellé alors qu'il s'appropriait des milliers d'objets provenant de l'épave de El Matancero, près de la péninsule du Yucatan. Il n'avait pas hésité à se servir de marteaux, de cisailles, voire de dynamite, pour extraire ces objets. Ses agissements ont consterné les archéologues. Bob Marx se dit aujourd'hui plus respectueux du patrimoine et utilise des méthodes plus sophistiquées.
Bob Marx a travaillé dans 62 pays ; plusieurs gouvernements ont fait appel à lui en tant que consultant. " Généralement, je perçois 75 % des gains et l'Etat les 25 % restants ", déclarait-il en 1997. En fait, un des plus grands problèmes liés à la protection du patrimoine subaquatique est que la chasse aux trésors est souvent exercée en toute légalité. Les fouilles archéologiques sont si coûteuses que de nombreux pays préfèrent passer un accord avec des chasseurs de trésors pour pouvoir récupérer une partie de leur patrimoine.
Différences entre un chasseur de trésors et un archéologue :
Peut-on travailler avec des chasseurs de trésors pour effectuer des fouilles subaquatiques dans le cadre d'une démarche véritablement scientifique ? Non, répondent les archéologues. Toute collaboration est vouée à l'échec car nous travaillons selon deux logiques totalement différentes.
L'archéologue : son trésor n'est autre que l'information qu'il peut tirer d'un objet.
Le chasseur de trésors : son trésor est l'argent qu'il va gagner en vendant un objet archéologique.
L'archéologue : sa méthode est scientifique et se préoccupe de la conservation des objets.
Le chasseur de trésors : sa méthode est axée sur la rapidité ; la conservation n'est pas sa priorité.
L'archéologue : des peuples entiers bénéficient des résultats de son travail.
Le chasseur de trésors : les résultats de son travail sont purement économiques et ne bénéficient qu'à un nombre réduit de personnes.
L'archéologue : il contribue à une meilleure connaissance de l'histoire de l'humanité.
Le chasseur de trésors : il détruit les vestiges de notre passé.
5) PROTECTION DU PATRIMOINE CULTUREL SUBAQUATIQUE
Un des grands problèmes de la protection du patrimoine culturel subaquatique tient au fait que très peu de pays disposent d'une législation spécifique. Et quand celle-ci existe, elle diffère énormément d'un pays à l'autre. C'est pour cette raison que l'UNESCO s'est lancée dans l'élaboration d'un instrument juridique international couvrant ce domaine. Cet instrument entend inciter les Etats à se doter de législations spécifiques dont les grands principes sont : la préservation in situ, l'interdiction des fouilles aux fins exclusivement commerciales et l'utilisation de techniques et méthodes d'exploration non destructrices.
Les biens qui constituent le patrimoine culturel subaquatique ont souvent une dimension internationale du fait des origines très diverses des navires et de leurs chargements. Ainsi, qui décide des conditions d'exploration d'un galion espagnol coulé dans les eaux territoriales d'un pays des Caraïbes ? L'Espagne ou le pays où repose l'épave ? L'absence d'un instrument juridique international adéquat ne facilitait pas la protection du patrimoine culturel subaquatique. Désormais, plusieurs articles de la Convention garantissent la meilleure protection possible à ce patrimoine vulnérable.
Quant à la prise de décision au niveau national, elle varie d'un pays à l'autre. Elle peut relever des compétences d'un ministère, d'un institut national d'archéologie, de recherche ou d'affaires maritimes, voire d'une université. Les financements sont assurés soit par ces mêmes institutions, soit par d'autres organismes publics ou privés. En France, par exemple, l'archéologie subaquatique dépend du Ministère de la Culture qui contrôle et finance en grande partie cette activité (voir encadré).
Par ailleurs, l'archéologie subaquatique est très coûteuse et les pays les moins développés manquent de moyens pour réaliser de véritables fouilles. Ils en sont parfois réduits à passer des accords avec des " chasseurs de trésors " pour explorer leur patrimoine. C'est pour cela que l'un des objectifs principaux de la Convention est la coopération entre les Etats (cf. articles 19 et 21) : " Les Etats parties coopèrent et se prêtent mutuellement assistance en vue d'assurer la protection et la gestion du patrimoine culturel subaquatique ".
(Conseil : rédiger un texte sur la protection du patrimoine subaquatique dans votre propre pays : quels principes de protection, qui décide, qui paye ?)
ENCADRE. Un exemple de protection : la France
Dès 1961, la France a été l'un des premiers pays au monde à se doter d'une législation spécifique propre à assurer la protection de son patrimoine subaquatique et à mettre en place, en 1966, une structure consacrée à la protection du patrimoine subaquatique, dépendant du ministère de la Culture. Le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) a pour mission de veiller à l'application de la législation relative à la découverte et à l'exploitation des épaves ayant une importance archéologique, historique ou artistique. " Tout objet immergé et épave découverts doivent être déclarés au service des Affaires maritimes qui nous transmet pour attribution l'information, déclare Jean-Luc Massy, Directeur du DRASSM. Nous procédons alors à l'expertise du site pour apprécier son importance et prendre toutes les dispositions nécessaires pour sa conservation ou son étude. Par ailleurs, nous intégrons sa localisation dans une base de données cartographiques ". Le DRASSM dresse jour après jour un inventaire des sites archéologiques qui permet d'orienter la recherche de façon thématique et chronologique.
Qui décide ?
" Personne en France n'est autorisé à pratiquer l'archéologie subaquatique sans l'accord de notre
Département ", ajoute M. Massy. En effet, le DRASSM délivre au nom du ministre aux associations, aux universités ou aux instituts de recherche des autorisations de fouilles, de sondages, de prospections sur lesquelles il exerce un contrôle scientifique et technique. " Le critère principal est la qualité méthodologique et l'expérience professionnelle des intervenants ; quelles garanties présente l'équipe dans sa constitution pour assurer l'ensemble des compétences en ce qui concerne l'enregistrement des données archéologiques, l'étude du mobilier prélevé sur les épaves, la conservation et la restauration ? Par ailleurs, les compétences du responsable de la fouille concernant la période chronologique à laquelle appartient l'épave est déterminante : un spécialiste des épaves des XVIIe et XVIIIe siècles aura plus de difficultés à obtenir une autorisation pour effectuer des fouilles sur une épave étrusque. Inversement, un archéologue non-spécialiste du paléolithique ne sera pas autorisé à explorer une grotte sous-marine datant des périodes préhistoriques anciennes ".
Qui paye?
Le Ministère de la Culture dans le cadre du budget du DRASSM contribue tous les ans à hauteur d'environ 910 000 euros pour l'archéologie subaquatique. Outre l'octroi des autorisations de fouilles et la réalisation du contrôle scientifique et technique de celles-ci, le DRASSM conduit ses propres programmes de recherche ; il a en charge la responsabilité de la formation des intervenants à la fouille subaquatique, de la diffusion des résultats des recherches à travers des bilans et de la mise à disposition auprès des musées des collections issues du milieu sous-marin.
Le DRASSM reçoit en outre le concours scientifique d'institutions telles que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou le concours financier de collectivités territoriales pour effectuer des fouilles. Elle ne finance pas systématiquement les fouilles qu'elle autorise mais elle peut offrir des aides logistiques telles que les services de l'Archéonaute, un bateau spécialement conçu pour les fouilles archéologiques sous-marines. Ce navire qui appartient au Ministère de la Culture peut héberger une équipe scientifique de 11 personnes.
6) TEMOIGNAGE D'UNE PASSION
Entretien avec Michel L'Hour, archéologue travaillant au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines du Ministère de la Culture (DRASSM, France), chercheur et directeur de fouilles subaquatiques en particulier le long des côtes atlantiques sur des épaves modernes (du XVe au XVIII siècles).
Comment avez-vous découvert l'archéologie subaquatique ?
Je suis originaire de Bretagne. Dans ma famille - jusqu'à la génération de mon grand-père -, on était marin de père en fils. Enfant, j'étais passionné par la mer et l'histoire. Je voulais combiner ces deux centres d'intérêt et c'est pourquoi, il y a 25 ans, j'ai choisi l'archéologie subaquatique.
Quels sont les moments forts de votre carrière ?
Il y en a eu beaucoup ! Le dernier en date est peut-être celui, il y a deux ans, au cours de la fouille des épaves de La Natière à Saint-Malo, la découverte d'ossements peu communs. J'affirmais qu'ils appartenaient sans doute à un animal domestique tué lors du naufrage (je les avais trouvés coincés sous une caisse de bouteilles). Nous les avons envoyés à des spécialistes en archéologie zoologique qui n'ont pas pu les identifier immédiatement. Finalement, en les comparant avec d'autres ossements du Muséum d'histoire naturelle, ils ont résolu l'énigme : il s'agissait d'un macaque, un singe originaire de Gibraltar ou d'Afrique du Nord, qui devait avoir moins de six mois car ses os n'étaient pas complètement soudés.
Ce fut une révélation extraordinaire ! Jusque-là, nous pensions avoir affaire à une épave datant de 1713. D'après les archives, le capitaine du bateau affirmait qu'il revenait d'un voyage de sept mois à Terre-Neuve. Dès lors, notre épave ne pouvait plus être ce bateau parce que l'on n'aurait pas pu trouver un jeune singe de moins de six mois où les macaques sont inconnus sur cette île !
Aujourd'hui encore nous continuons à examiner les archives car nous n'avons pas réussi à identifier cette épave. Nous avons cependant trouvé d'autres parties du corps du macaque qui confirment qu'il s'agissait d'un animal apprivoisé noyé lors du naufrage. Si nous parvenons à identifier le bateau, trouverons-nous peut-être un jour un document mentionnant la perte de ce singe au cours du naufrage.
Le site des fouilles de La Natière (France) est : http://www.lecorsaire.com
7) CONSERVATION IN SITU
Les vestiges archéologiques peuvent faire l'objet d'une étude à l'endroit même où ils
ont été découverts (in situ) ou être extraits en vue d'être restaurés et exposés au public
dans un musée. La Convention de l'UNESCO privilégie la première option dans le cadre
de la protection du patrimoine subaquatique. L'archéologue Robert Grenier
explique : "
Il a été prouvé que les épaves de bateaux peuvent durer des milliers d'années
au fond de l'eau. Les dégâts se produisent généralement pendant le premier siècle d'immersion.
Après cette période initiale, la dégradation s'arrête plus ou moins ou ralentit jusqu'au moment
où le site atteint un équilibre et se stabilise pour des siècles ".
Par ailleurs, les archéologues estiment que la valeur réelle d'une épave ou d'un site archéologique réside dans un ensemble et que, par conséquent, les objets doivent être étudiés dans leur contexte afin de permettre l'interprétation la plus exacte possible.
D'aucuns pensent que conserver in situ implique d'interdire les fouilles. "
Pas du tout ", déclare Grenier. "
Préserver pour le bien de l'humanité " signifie sauvegarder in situ et accéder au site
exclusivement pour réaliser des fouilles archéologiques justifiées et respectant la
conservation de l'épave et de chacune de ses pièces.
Ceci n'empêche pas que le public puisse accéder aux sites conservés au fond de la mer. Au contraire. La Convention propose d'encourager l'accès du public au patrimoine culturel subaquatique in situ, sauf dans les cas où la protection d'un site serait en danger. Ainsi, en Nouvelle Ecosse (Canada), tout plongeur peut visiter le Célèbre, un vaisseau de guerre français naufragé en 1758. La seule condition est d'avoir recours à une agence autorisée organisant des plongées respectueuses de l'environnement.
EVITER UN NOUVEAU NAUFRAGE
Le 10 août 1628, des milliers de personnes se rassemblèrent à Stockholm pour assister au lancement du plus grand vaisseau de guerre jamais construit, le Wasa. Le bâtiment s'inclina soudainement et, l'eau atteignant le pont, il coula rapidement. Trente des 150 marins périrent. Cette catastrophe fut un coup dur pour le puissant empire baltique de Suède et son roi, Gustave Adolphe. Non seulement le navire ne put remplir sa mission militaire mais il ne put même pas être remonté à la surface en raison de son poids (plusieurs milliers de tonnes).
En 1961, plus de trois cents ans plus tard, le Wasa a été renfloué. Plus de 25 millions de dollars et un traitement de conservation qui s'est étendu sur trente ans ont permis que le Wasa soit exposé dans un musée spécialement conçu pour lui, musée qui a reçu plus de 9 millions de visiteurs depuis son inauguration en 1990.
Compte tenu du coût extrêmement élevé de la conservation des vestiges archéologiques hors de l'eau, un " sauvetage " comme celui du Wasa est pourtant difficile à concevoir dans le cas d'un petit pays. Avec le recul, on peut même se demander s'il fallait renflouer le Wasa.
En effet, au début 2002, des journaux du monde entier ont titré : " Le Wasa tombe en poussière ". Les scientifiques avaient découvert que le bois du navire souffrait de l'action de l'acide sulfurique. En raison du coût exorbitant d'un nouveau traitement le musée craignait de ne pouvoir sauver le vaisseau.
Il est indéniable que les techniques de conservation ont encore de grands progrès à faire, surtout en ce qui concerne le bois. Le passage d'un milieu aquatique à un milieu aérobie peut totalement désintégrer la pièce archéologique. Le bois, imbibé d'eau, s'endommage lors de l'évaporation. Pour le conserver, il est nécessaire de remplacer l'eau par un liquide renforçant sa stabilité. Les différentes méthodes utilisées jusqu'ici n'ont pas été concluantes.
Les partisans de la conservation in situ proposent de mettre à profit les nouvelles techniques informatiques pour reproduire virtuellement les épaves et de laisser celles-ci dans leur environnement actuel. Après tout, leur adaptation au milieu aquatique a été si longue qu'il est sans doute préférable d'éviter un nouveau naufrage.
Liliana Sampedro
Journaliste du BPI (Bureau d'information du public)
UNESCO