Un Épisode Regretable, une Perte à Tout Jamais, une Dure Leçon à ne pas Oublier
L’épisode d’une histoire contemporaine de l’urbanisme et de la construction en Andorre, extrêmement agressive vis-à-vis du patrimoine architectural et de l’environnement, nous sert
aujourd’hui à tirer une leçon dure mais très utile pour la sauvegarde du patrimoine architectural et des paysages culturels.
Nous allons, hélas, parler ici d’un patrimoine qui a presque entièrement disparu sous le coup d’une série de constructions et de démolitions qui ont manqué de sensibilité, de
perspective et d’intelligence et dont l’Andorre a souffert ces 40 dernières années.
Le patrimoine en question constituait le tissu urbain, les maisons, bâtiments annexes et quelques jardins du quartier d’El Pui à Andorre-la-Vieille.
El Pui (qui signifie petite colline) est bâti sur un petit promontoire rocheux qui domine les meilleurs terrains cultivables de la plaine qui s’étend à ses pieds. Il est cité pour la
première fois dans un document de 1176. Ce noyau était constitué par une quarantaine de bâtiments et il a conservé en grande partie ses maisons et son tissu urbain, à l’aspect médiéval,
jusqu’aux années 60 / 70. Une sauvegarde de ce patrimoine aurait même pu être envisagée dans les années 80.
Outre ses qualités et valeurs architecturales et historiques, il possédait toutes sortes de valeurs ajoutées qui s’étaient accumulées au fil des années : à la limite orientale de ce
quartier, par exemple, une belle demeure privée fût construite en 1580, elle devint, à partir de 1702, le siège du Conseil Général et abrite aujourd’hui le Parlement d’Andorre. En 1923,
Isabelle Sandy écrivait son roman « Andorra et les Hommes d’Aram », clé de voûte de sa pensée régionaliste et spiritualiste. L’action de ce roman se déroulait dans l’une des maisons les
plus importantes d’El Pui, Casa Solana, hélas démolie aussi récemment ! El Pui était également l’une des portes d’entrée de la capitale en venant de l’Espagne.
Aujourd’hui le quartier est méconnaissable. Le brutal changement d’échelle des édifices a tout défiguré et les quelques maisons qui demeurent sont étouffées par des géants de
béton qui bouchent l’horizon. La démolition du quartier a entraîné la disparition de nombre de ses valeurs et qualités, et bon nombre de possibilités ont été perdues.
Trois Chapitres Pour Une Leçon
Si douloureuses soient-elles, ces erreurs ne sauraient nous servir à nous plaindre éternellement, mais elles nous invitent surtout à être rigoureux dans l’analyse et la connaissance des
événements et des processus et elles nous offrent la possibilité de renouveler nos forces, notre dynamisme et notre efficacité afin d’éviter que de tels épisodes ne se reproduisent.
Chapitre I. Entre le remédiable et l’irréparable, un temps précieux pour réagir
Les premiers grands bâtiments construits ces dernières décennies à El Pui ont marqué le début de la construction d’édifices à une nouvelle échelle. D’une part, cela représentait un
facteur de contamination architecturale des lieux, donc dégradant sévèrement leurs qualités et d’autre part, c’était un argument « justifiant » la poursuite de cette démarche agressive.
Quels en étaient les bénéficiaires? Les seuls propriétaires privés. Qui en était pénalisé? Le patrimoine, toute la société. Quels en étaient les responsables? Surtout les institutions qui ont
joué le jeu des lois du marché, appuyées par une société civile immergée dans un courant où les gains sont immédiats et faciles, insensible à ces questions et donc incapable de mesurer
la gravité de la menace.
Entre le remédiable et l’irréparable, un temps s’est écoulé pendant lequel le manque de réaction et d’exigence sociale a contribué à labéliser ce que les institutions ont autorisé
régulièrement et aucune stratégie de rectification n’a donc été mise en place ni même discutée.
Chapitre II. El Pui ou la perte d’un capital énorme
L’Andorre, qui, depuis les années 60, a parié pleinement sur le tourisme en tant que pilier central et presque unique de son économie, a réussi cependant à gâcher cet énorme capital
historique, architectural et touristique. Il paraît paradoxal et difficilement compréhensible que cet atout touristique, en plein centre de la capitale, patrimoine historique et culturel de tout
le pays, ait pu être liquidé pour quelques blocs de béton plus ou moins difformes, satisfaisant seulement les intérêts économiques de quelques douzaines de propriétaires. Le fait d’être
considéré comme un patrimoine mineur, « sans papiers », non monumental, a certes facilité les choses. Le manque de perspective et d’horizon, l’absence de prévision et d’anticipation, le
défaut d’une planification autant que d’une vigilance permettant de garantir les droits du patrimoine, nous privent désormais des bénéfices importants de tout ordre que ce capital aurait
pu nous offrir généreusement. Aujourd’hui, hélas, la perte est irrémédiable.
Chapitre III. Le piège des gestes politiques vides de contenu
Pourtant, le Ministère chargé de l’aménagement du territoire éditait en 1989 le résultat d’un travail réalisé par l’école d’Architecture del Vallés (Barcelone) sur El Pui qu’il avait intitulé:
Amélioration du paysage urbain. Quartiers anciens. Dans la présentation de ce luxueux dossier, le ministre de l’époque déclarait : « Que ce recueil d’images puisse servir à nous faire
avancer dans la récupération ou la réhabilitation de notre patrimoine bâti, symbole d’un mode de vie traditionnel ». Hélas, ces mots se sont révélés creux, vides de stratégies, de
ressources et de compromis. Prémonition feutrée pour un résultat sévère et lourd. Les mois qui suivirent cette déclaration furent témoins des démolitions de quelques maisons
inventoriées dans cette étude.
Les déclarations, les plans ou les outils législatifs sont sans effet si parallèlement à cela il n’existe pas de compromis réel ni les ressources humaines et matérielles nécessaires
pour concrétiser et rendre efficaces les volontés et les accords et pour alimenter les actions de sensibilisation de la société. Tout cela a fait défaut et les conséquences ont été au
rendez-vous.
Avenir Versus Epilogue
Nous le disions au début : c’est une période regrettable, mais c’est surtout une solide raison pour nous réinvestir et un apprentissage, certes bien dur, pour éviter de renouveler des
erreurs dans l’avenir. La capacité et le temps de réaction de la part de la société face à la capacité de transformation des moyens actuels et à la puissance des lois du marché pour imposer
le modèle de ville, est un facteur de tout premier ordre dans l’efficacité de la sauvegarde du patrimoine. Encore faut-il qu’elle y soit attentive en permanence et qu’elle y reconnaisse et
valorise un patrimoine tenu parfois comme mineur. La sensibilisation, la formation et la recherche devraient aider à renforcer cette attitude. C’est ce à quoi nous travaillons. L’expérience,
si lourde soit-elle, comme c’est le cas ici pour nous, et la leçon qui en a été tirée, pourront certainement être aussi utiles aux autres.
ICOMOS Andorre