Réparti en plusieurs catégories qui le protègent de façon plus ou moins forte, en fonction de son intérêt architectural historique ou culturel, le patrimoine français est frappé de phénomènes d’érosion qui paraissent irréversibles. Parmi les causes principales, il faut invoquer la dégradation de la matière, dégradation physique ou chimique des matériaux, autant matériaux traditionnels que modernes, où les phénomènes s’accélèrent qualitativement et quantitativement, provoqués par des causes qui paraissent de plus en plus difficiles à enrayer. Causes également majeures de dégradation, la maladresse, l’incompréhension, mais aussi la malveillance, la bêtise ou l’incompétence, autant au niveau ponctuel qu’au niveau de l’aménagement et de l’urbanisme.

Pour contrer ces effets, l’Etat, les collectivités publiques, et les Associations de Sauvegarde, mettent en place des mesures réglementaires, d’aides financières, de formation professionnelle, de publicité, de sensibilisation, etc. Ces actions sont généralement efficaces, et contribuent à ralentir ce phénomène ; mais elles restent malgré tout encore insuffisantes, en particulier pour le patrimoine atypique : patrimoine vernaculaire, militaire, industriel, ou patrimoine du 20ème siècle, autant pour des raisons d’exode rural ou de déclin économique, que pour des raisons de méconnaissance ou d’incompréhension.

Plus généralement, et tout patrimoine confondu, ce sont les programmes d’aménagement et de réutilisation qui sont les plus redoutables causes d’altération, du fait d’une totale absence de méthodologie et d’éthique. Au premier rang, on rappellera les effets catastrophiques du façadisme qui en considérant le patrimoine comme un décor de théâtre, le vide de sa signification architecturale et culturelle.

Mais aussi doit-on dénoncer les effets dévastateurs de plus en plus prononcés que la normalisation impose au patrimoine, pour des raisons de sécurité incendie, sécurité des personnes, réglementation sur les métiers, les outils, les matériaux, qui en condamnant les savoir-faire artisanaux, condamne le Patrimoine comme expression culturelle.

La reconnaissance du Patrimoine architectural comme exception culturelle apparaît de plus en plus comme une nécessité de sa sauvegarde, et comme préalable indispensable à la mise en œuvre d’une politique efficace et décisive.

Mais il est des exemples qui échappent à ces considérations et sont d’une échelle qui dépasse l’action quotidienne. L’année 2001 a vu en France deux cas, parmi d’autres, particulièrement marquants :


Inondation de la Vallée de la Somme

En Picardie, la Vallée de la Somme rassemble de véritables joyaux de l’architecture, en particulier de l’époque gothique et du début de la Renaissance, dont elle compte plusieurs dizaines de témoins les plus remarquables.

Au printemps 2001, la vallée a été affligée de très importantes inondations qui ont concerné 125 communes, 1500 à 2000 maisons, provoquant un préjudice considérable à l’économie et à la population locales.

Une vingtaine d’édifices Monuments Historiques parmi les plus remarquables ont été atteints :

  • 15 églises et fondations monastiques.

  • 5 ensembles fortifiés.

  • 2 usines et patrimoine industriel

  • 1 mégalithe.

A l’initiative de la Conservation Régionale des Monuments Historiques, une mise en observation du patrimoine protégé était entreprise dès le mois d’août 2001. Une mission était confiée à l’Architecte en Chef des Monuments Historiques qui constatait les désordres consécutifs à la saturation des sols et des structures:

  • affaiblissement des sous-sols et des couches portant les fondations;

  • accroissement des remontées capillaires dans les maçonneries, dissolution des mortiers, et affaiblissement potentiel des structures;

  • apports et migration de sels, accélération de l’altération chimique des matériaux;

  • risques d’altération des œuvres d’art, des peintures murales, du mobilier.

Les désordres observés au moment des plus hautes eaux risquent d’être aggravés à la décrue, par des phénomènes complémentaires tels que :

  • lessivage des couches géologiques par le reflux des eaux ;

  • rétraction des sols (argile et marnes) et déstabilisation des fondations.

Des prescriptions d’intervention d’urgence ont été conseillées ; malheureusement sans suite, ce qui n’est pas sans inquiéter sur la conservation des édifices. Plus inquiétant encore est la constatation que les nappes phréatiques sont toujours saturées, et que les ouvrages hydrauliques devant faciliter l’évacuation des eaux ne sont pas achevés, ce qui fait planer un risque sérieux de récidive dès les prochaines saisons humides. Le risque pour le patrimoine peut être catastrophique.


Montagne de Laon en péril

A 120 km au Nord de Paris, Laon est perchée sur une étroite colline d’environ 70 hectares qui domine à près de 170 metres d’altitude, la plaine environnante. Occupée dès l’époque romaine, la ‘ville haute’ s’est développée au Moyen-Age, à l’abri des fortifications. Il en reste un ensemble urbain remarquable, et la cathédrale, fleuron de l’architecture gothique des 12ème et 13ème siècles.

Le socle qui porte la ville haute est composé d’une stratification de sables, portés par des couches de calcaire sous lesquelles se retrouvent encore des sables, et un gisement d’argile: ces différentes couches géologiques ont été l’objet d’exploitation pour la construction de la ville, et ont créé un important réseau de carrières, galeries, caves, sur plusieurs niveaux superposés. Jusqu’à une époque avancée, ces réseaux ont été l’objet d’une surveillance et d’une réglementation de police, sous la responsabilité de services municipaux. Mais au 16ème siècle, l’exploitation se ralentissait.

Aux 19ème et 20ème siècles, la densification de l’urbanisation coïncidant avec un abandon progressif de la surveillance, fut le départ de la dégradation du sous-sol.

A l’évacuation non contrôlée des eaux pluviales, est venu s’additionner l’augmentation considérable (jusqu’à 100 fois en 50 ans) des eaux domestiques se déversant librement de façon anarchique dans les couches géologiques de sables et de calcaire tendre dont ils ont affecté la résistance, sans oublier que nombre de réseaux sont actuellement murés et dans un état totalement inconnu : on est donc en droit de redouter des phénomènes d’effondrements localisés, ou de glissement de l’ensemble de la roche calcaire.

Les conséquences se font déjà connaître:

  • Sur la Cathédrale gothique, une des œuvres majeures du premier gothique : défaillance localisée des fondations, et risques de répercussions sur les voûtes, les superstructures, et l’équilibre.

  • Sur les fortifications de la ville haute (14ème-15ème siècles) ou l’on observe des effondrements de plus en plus fréquents et importants.

  • Sur les édifices majeurs de la ville haute (ancien Evêché, actuel Palais de Justice) et autres églises et chapelles.

  • Sur la ville historique, actuellement protégée comme Secteur Sauvegardé.

Une étude pluridisciplinaire serait à lancer d’urgence, afin de rassembler dans une même fédération de préoccupation et de recherche, géologues, archéologues, architectes du Service des Monuments Historiques, BET chargés de prospection, etc. Il est urgent d’avoir la connaissance la plus exacte du sous-sol et de ses galeries ; leur nombre, position, niveaux ; leur état sanitaire et la vitesse de la dégradation des couches géologiques. Enfin, définir les mesures d’intervention d’urgence, jusqu’à ce que les mesures définitives puissent être identifiées financées, et mises en œuvre. Sachant que nombre des excavations sont d’origine médiévales et représentent donc également un intérêt majeur du point de vue de l’histoire des techniques .

Le sauvetage de la colline de Laon est un enjeu majeur, national, qui appelle une mobilisation forte et urgente.

ICOMOS France