16e assemblée générale et symposium scientifique international
Québec, Canada, 29 septembre au 4 octobre 2008
Contexte
Si, pendant longtemps, le patrimoine a été considéré essentiellement dans ses composantes matérielles (sites, bâtiments, artefacts), nous assistons depuis quelques années à l’émergence d’une préoccupation nouvelle à l’égard du patrimoine immatériel (récits oraux, mémoires, rites, fêtes, savoir-faire, chanson, musique, danse) dans toutes les parties du monde. Pour répondre à cette demande, l’UNESCO a adopté en 2003 et, à peine trois ans plus tard, a ratifié la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel qui porte spécifiquement sur la protection et la promotion des éléments intangibles de la culture.
De son côté, en 2003, ICOMOS a consacré le thème de sa 14e assemblée générale et de son symposium à Victoria Falls, au Zimbabwe, à la conservation des valeurs immatérielles des monuments et des sites. La publication qui en a découlé propose des études fort pertinentes sur les concepts, les perceptions et les modes de gestion du patrimoine culturel immatériel (ICOMOS 2003). Par la Déclaration de Kimberley de 2003, ICOMOS s’est engagé à tenir compte des composantes immatérielles et des communautés locales qui les portent dans la gestion et la conservation des sites régis par la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972. Un Comité scientifique international sur le patrimoine culturel immatériel a également été mis sur pied et celui-ci vient de préparer un document qui vise à établir un code des pratiques éthiques dans l’identification, la conservation, la gestion et la célébration du patrimoine culturel immatériel lié aux espaces culturels. La Déclaration de Xi’an adoptée par l’Assemblée générale de l’ICOMOS en 2005 rappelle aussi l’importance du contexte immatériel dans la reconnaissance et la protection des sites du patrimoine mondial.
Il faut profiter de ce symposium pour poursuivre cette réflexion avec encore plus de détermination pour mieux comprendre les rapports qui existent entre le patrimoine matériel et le patrimoine immatériel en misant sur l’élaboration de nouvelles approches, le développement de nouveaux concepts et la mise en œuvre de nouveaux modes de conservation. Pour les besoins du symposium, nous définissons l’esprit du lieu comme l’ensemble des éléments matériels et immatériels qui donne du sens, de la valeur et de l’émotion au lieu.
Thématique
Où se cache l’esprit du lieu? Pour répondre à cette question, il faut explorer la relation qui existe entre l’esprit et le lieu, entre le matériel et l’immatériel.
On avance souvent que l’esprit du lieu émane de l’un ou de l’autre, soit de l’objet physique, soit des usages que l’on en fait. Certains croient qu’il est l’œuvre du génie du créateur (un individu, un groupe, une communauté, un ancêtre ou encore un être surnaturel) qui a marqué à tout jamais le lieu et ses utilisateurs ; d’autres pensent plutôt qu’il émane du lieu lui-même qui détermine le sens et qui édifie l’esprit du créateur et des usagers. En plus de séparer arbitrairement l’esprit du lieu, ces approches tendent à essentialiser l’esprit du lieu, à le réduire à une essence, à une chose singulière, permanente et statique.
Plutôt que de séparer « esprit » et « lieu », matériel et immatériel, voire de les considérer comme s’opposant l’un à l’autre, il faut explorer les multiples façons qu’ils ont d’interagir et de s’enrichir mutuellement. L’esprit, immatériel, vu comme le génie du créateur, marque le lieu de sa présence et lui donne un sens, alors que le lieu lui-même, matériel, nourrit l’esprit du créateur et oriente sa création. Nous croyons qu’il faut ouvrir la discussion pour inclure non seulement les créateurs de lieux mais également leurs utilisateurs, et définir le lieu comme un assemblage d’éléments matériels (les caractéristiques du site, les constructions, les objets qui l’habitent, etc.) et d’éléments immatériels (les légendes, les croyances, les rituels, les festivités qui s’y déroulent, etc.). Dès lors, l’esprit du lieu apparaît comme pluriel et dynamique, capable de véhiculer plusieurs significations à la fois, de changer à travers le temps et d’appartenir à plusieurs groupes. Cette vision plus dynamique de l’esprit du lieu est également mieux adaptée à notre monde d’aujourd’hui qui est devenu un village global caractérisé par de grands mouvements de population transnationaux, par l’accroissement des contacts interculturels et par le développement de sociétés pluralistes.
Pour faciliter la réflexion et la discussion, nous avons divisé la thématique en quatre sous thèmes et autant d’ateliers:
Le premier sous-thème questionne les enjeux théoriques de la relation entre l’esprit et le lieu, entre l’immatériel et le matériel. Nous proposons de réfléchir à l’étude des rapports qui existent entre le site dans son contexte physique, son créateur et les individus qui l’utilisent et qui peuvent, à certaines occasions, en arriver à lui donner un sens bien différent de celui originellement recherché. Il apparaît nécessaire de prendre en considération les aspects reliés à la mémoire pour tenir compte du rôle important qu’elle joue dans la construction sociale de l’esprit du lieu.
Le second sous-thème vise l’identification et l’analyse des menaces matérielles et immatérielles qui pèsent sur l’esprit du lieu. La détérioration de l’environnement, les changements climatiques, la « touristification » des sites historiques, la « folklorisation » des pratiques et des rituels, les migrations transnationales, les nouvelles icônes architecturales, enfin les conflits religieux et ethniques sont quelques-uns des phénomènes contemporains qui peuvent mettre en péril l’esprit du lieu et conduire parfois à l’abandon, à la destruction et ultimement à la perte de sites patrimoniaux.
Le troisième sous-thème porte sur l’étude des processus, des méthodes, des moyens et des outils qui peuvent être utilisés pour sauvegarder et protéger l’esprit d’un lieu, parfois même pour le réhabiliter. Dans la plupart de nos pays, des politiques et de bonnes pratiques ont été mises en place pour protéger le patrimoine culturel matériel. En ce qui concerne le patrimoine culturel immatériel, bien que de grands efforts soient déployés depuis quelque temps pour en baliser les pratiques de conservation, il reste beaucoup à faire. Il nous faut trouver les moyens pour mieux sauvegarder les éléments immatériels des lieux.>/
La transmission de l’esprit du lieu est une condition inhérente à la préservation, car c’est à travers un processus de transfert que l’héritage survit. Autrement, il est oublié, abandonné, puis il disparaît. Les lieux anciens ont souvent été réoccupés et transformés : de nouvelles civilisations, des combattants, des explorateurs ont pris possession successivement des mêmes lieux et y ont imprégné de leur esprit, souvent à partir de pratiques immatérielles. Cette réalité induit la question du discours qui parle de l’esprit du lieu, un discours qui est souvent politique et qui peut mettre en péril la qualité de sa transmission quand les esprits qui doivent cohabiter, dans les faits, s’échauffent et s’affrontent!
J’espère que vous trouverez la lecture de ces textes intéressante et stimulante.Laurier Turgeon, Ph. D.
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine
Directeur de l’Institut du patrimoine culturel de l’Université Laval
Coordonnateur du comité scientifique